« Emmené par son professeur, l’adolescent traîne maussadement ses semelles sur les sols de marbre du musée. Il lève à peine les yeux de son téléphone sur lequel défilent les dernières actualités de ses réseaux sociaux, et maugrée des « hmm… » et des « ah » à chaque interpellation de son guide qui tente désespérément de lui faire apprécier les beaux arts… »

Bientôt obsolète, cette image d’Epinal ? C’est ce que souhaite en tous cas le musée du Louvre, qui verrait bien plutôt ses allées arpentées par des hordes enthousiastes de jeunes amateurs d’art. Et pour ceci, le plus grand musée français a décidé de se mettre à la page des usages de ces « digital natives » et d’aller les chercher sur leur terrain.

A l’occasion de Communicating the Museum, qui aura lieu à Québec en novembre, le Louvre viendra sur scène exposer sa nouvelle stratégie d’influence en ligne. Lors d’une interview filmée, Anne-Laure Béatrix (directrice des relations extérieures du musée) et Adel Ziane (sous-directeur de la communication) nous ont dévoilé en avant-première les temps forts de cette opération séduction, qui les a menés de Will.i.am (chanteur des Black Eyed Peas) aux youtubers stars français

C’est par un clip que tout a commencé

2010. Will.i.am, chanteur emblématique des Black Eyed Peas, fait un passage au Louvre pour le tournage de la série « Visionnaires : dans le Cerveau des Esprits Créatifs » (Visionaries : Inside the Creative Mind) qui doit être lancée sur la nouvelle chaîne d’Oprah Winfrey (OWN). Dans cet épisode, la superstar américaine de la musique dévoile les coulisses de la conception de sa chanson Mona Lisa Smile (le Sourire de Mona Lisa), qui sortira sur son album Willpower en 2013. La visite inspire l’artiste, qui décide de tourner le clip vidéo correspondant dans le « plus beau temple de l’art du monde« .

En avril 2016, 3 ans après la sortie du morceau, Will.i.am dévoile le clip. 3 ans, c’est le temps qui a été nécessaire pour produire la vidéo, petite prouesse audiovisuelle qui voit s’animer un à un les tableau du musée.

A droite, clip vidéo de Mona Lisa Smile – Will.i.am ft. Nicole Scherzinger

Ces quelques années écoulées depuis sa première visite auront aussi alimenté les réflexions du plus grand musée français. Avec ses 15 millions de fans sur Facebook, 14 millions de followers sur Twitter et des clips vidéo qui totalisent chaque fois plusieurs millions (voire dizaines de millions) de vues, la star a de quoi faire rêver le Louvre qui, comme toutes les grandes institutions culturelles, rêve de séduire les jeunes générations de « digital natives ». Hyper-connectées mais plutôt absentes des salles d’exposition, celles-ci sont à la fois le grand casse-tête et le grand fantasme des établissements.

Le chanteur est réceptif à l’intérêt qu’on lui manifeste. Et quand on propose à la superstar de jouer les guides de visite, il accepte. C’est ainsi qu’en avril 2016 – en même temps que le clip Mona Lisa Smile – sort le documentaire Will.i.am au Louvre. On y voit le chanteur arpenter les salles et établir « un parallèle entre les inventions technologiques, la starification, les réseaux sociaux d’hier et d’aujourd’hui ».

Les Youtubers stars français prennent la relève

Ce qui a commencé par une opportunité saisie au vol par le musée va s’installer de façon pérenne dans sa stratégie de communication. A l’époque, le Louvre est doté d’une chaîne Youtube un peu poussiéreuse qui ne déchaîne pas les passions des publics connectés. Le département des relations extérieures voit dans l’intervention de porte-paroles plus en phase avec les jeunes publics une occasion d’aborder différemment la question du renouvellement des publics.

Ce sont donc 3 youtubers – bien français cette fois-ci – qui vont être mis à contribution pour une « carte blanche ». Nota Bene (qu’on connaît notamment pour ses vidéos qui revisitent l’histoire sous ses aspects les plus trépidants et qui est également courtisé par les éditeurs), Axolot (qui explore tout particulièrement les anecdotes étranges et méconnues de l’histoire) et le Fossoyeur de Films (qui s’amuse à déterrer les dossiers confidentiels du cinéma) ont ainsi présenté leurs réalisations sur la chaîne Youtube du musée en début d’année.

Et ces trois premières collaborations ont vocation à être suivies de bien d’autres. Le Louvre entend en effet transformer celles-ci en un « rendez-vous » régulier entre l’établissement et son public digital.

A gauche, « 4 Expéditions au Musée du Louvre » par Nota Bene

Un pari réussi ?

Comme souvent lors de ces initiatives, difficile d’estimer l’impact sur la fréquentation. D’autant plus que, dans ce cas précis, on dispose de peu de recul, les vidéos ayant été postées il y a moins d’un an.

Néanmoins, l’impact en termes d’image est bien réel. Plusieurs centaines de milliers de vues pour les vidéos des Youtubers (qui ont été postées à la fois sur leur chaîne et celle du musée), des millions de visionnages du clip de Will.i.am : les fans n’ont pu manquer la diffusion de ces vidéos à la fois pédagogiques et ludiques.

On a multiplié par 3,5 le nombre de nos abonnés

« On a multiplié par 3 et demi le nombre de nos abonnés » affirme Adel Ziane dans son interview. Avec à la clef, une image décomplexante, plus jeune et moins intimidante.

Et quand on sait que (selon une étude 2013 de l’OCIM) c’est la représentation « pas­séiste et ennuyeuse » des musées et l’impression que les galeries ne sont « pas pour eux » qui dissuade les adolescents et les jeunes adultes d’en pousser la porte, on ne peut que se féliciter du renouvellement de cette image amorcée par le Louvre. De plus, il semblerait que les visiteurs poussent la porte des musées essentiellement pour voir des oeuvres qu’ils connaissent déjà : les familiariser avec certaines oeuvres ne peut donc que les inciter à se déplacer physiquement.

Les influenceurs d’Internet font souffler un vent léger et effronté sur nos institutions parfois bien solennelles. Serait-ce donc l’impulsion qui manquait aux jeunes générations pour entrouvrir la porte des musées ?